Partagez cet article

Antillais d’origine, Kevin Fortuné a grandi dans un quartier sensible. Malgré cela, le papa de Kalvin 3 ans, Giulia-Rose 1 an et demi - décédée en juin dernier - et Giani-Lyanne 2 mois, a su relever les épreuves de la vie pour réaliser son rêve : devenir footballeur professionnel. Toujours positif et le sourire aux lèvres, Kevin puise sa force dans sa famille et ses croyances. Récit…

Récit

Né le 6 août 1989 à Paris, Kevin a grandi dans la banlieue parisienne. Deuxième d’une famille de trois enfants, c’est sa maman, responsable en cuisine centrale à l’hôpital Cochin qui les a élevés alors que leur père, militaire, est retourné, trois ans après sa naissance, en Martinique. « Il avait le mal du pays. Mais on a toujours gardé une grande et belle complicité ! Malgré la distance, il a toujours su tenir son rôle de papa. »

Le père de famille, c’était donc leur maman, « Tatie » comme on l’appelle dans le quartier. « Aujourd’hui, au-delà de mon statut de footballeur, "Kevin" est respecté. Ma famille aussi. Quand ma mère a besoin de quelque chose, les petits de la cité l’aident. Ils vont lui faire les courses, etc… »

Avec sa grande sœur Sabine - 34 ans, infirmière à l’hôpital de Gonesse - les rapports étaient un peu tendus. « C’était très compliqué avec ma sœur. Je ne sais pas pourquoi. Mais quand j’ai quitté le foyer familial pour intégrer le club de Dijon, notre relation s’est améliorée. Maintenant on s’entend très bien, on est même inséparable. »

Entre les garçons, le courant passait mieux. Protecteur, il prenait soin de son petit frère Mickaël - 23 ans - tout en lui apprenant à faire des petites conneries : « J’ai galéré et il l’a vu. Il a compris que la vie n’était pas facile. Je tenais à ce qu’il s’imprègne des bonnes valeurs que notre mère nous a inculquées. Je le remettais aussi en place quand il le fallait. Quand j'ai quitté le cocon familial, il s’est pris pour l’homme de la maison et a manqué de respect à notre mère. J’ai dû revenir exprès au quartier pour lui montrer que c’était bien beau de faire le bonhomme mais qu’il devait assumer. Je l’ai attrapé, je l’ai descendu en bas de l’immeuble et je lui ai réglé son compte devant ses potes. Même si c’était mon frère et que ça me faisait de la peine, je lui ai montré que le chef de famille c’était notre mère. C’est comme ça qu’il a su se calmer très vite. Aujourd’hui, mon frère, boucher dans un supermarché, est un homme droit et responsable. »

Kevin a connu le quartier. A Garges Sarcelle, c’était assez chaud. Dans la cité de la Zone 4, il a dû s’imposer pour ne pas se faire marcher dessus et s’en sortir. « Dans un quartier comme celui-ci, on est testé. Comme on dit dans notre pseudo langage, on veut voir si ce gars-là est un bolos, un mec faible. Comme je suis de nature très gentil, les gens ont pensé qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient de moi. Mais ils se sont trompés. J’ai mes limites. J’ai dû me faire respecter par la parole et parfois par des gestes un peu brusques. Mais finalement, ils ont compris que je n’étais pas un petit bolos. »

La Zone 4, c’est la délinquance, la vente de substances illicites. Vivre dans un quartier, c’est à double tranchant. « Là-bas, c’est soit tu tombes et tu as de mauvaises fréquentations, soit tu fais face et tu montres que tu peux réussir. » Ce qui a fait la différence pour Kevin, c’est qu’il avait un but dans la vie : devenir footballeur professionnel. « Je me suis donné les moyens. Si j’étais resté, j’aurais mal tourné. »

Le foot, c’est sa vie. Quand il était petit, il ne se consacrait qu’à ça : « J’ai arrêté l’école à 16 ans. Ma mère, la pauvre, pensait que j’allais à l’école mais j’étais sur les terrains avec mes potes. »
Les potes, comme sa deuxième famille. « Dans la Zone 4, on était une bonne bande d’amis. Depuis, certains sont partis à l’étranger ou dans une autre région de la France, d’autres sont restés, mais on ne s’est jamais lâché ! Il y en a qui viennent me voir à Lens. Ça permet de se remémorer les bons souvenirs. J’ai toujours une très bonne complicité avec 5-6 vrais potes.
Mais il y a surtout Franck Julienne (ancien joueur professionnel de Rennes). Il est comme mon frère. On se connaît depuis l’âge de six ans. On a fait les 400 coups ensemble ! »

La force de Kevin réside dans les liens forts qu’il noue avec sa famille mais aussi dans ses origines martiniquaises : « Quand j’étais jeune, j’y allais tous les ans, pendant les grandes vacances. J'y retrouvais mon père et toute ma famille. Quand j’ai commencé le football, c’était un peu plus difficile. En juin dernier, j’y suis allé avec mon fils Kalvin. C’était top ! La Martinique, c’est la culture, les origines, la famille, la musique, la nourriture, les fruits, le soleil, la plage à 2 minutes de chez moi, la mentalité… Beaucoup de choses que je ne retrouve pas en France. Là-bas, c’est la joie de vivre ! Pas mal de gens y sont en difficulté mais ils ne le montrent pas. Aux Antilles, la communauté martiniquaise est vraiment soudée. On ne laissera jamais quelqu’un dans la misère. J’aime ma petite île. »

Photo de gauche : Kevin (en bas à gauche) avec ses cousins et ses cousines en Martinique
Photo de droite : Kalvin et Kevin

On comprend alors pourquoi Kevin est un vrai rayon de soleil au quotidien. Toujours de bonne humeur, il aime transmettre sa joie de vivre aux autres : « Dans la douleur, dans les moments difficiles, je ne montre pas ma souffrance. J’ai toujours le sourire. Quand vous rencontrez quelqu’un qui ne va pas bien, vous allez lui transmettre votre bonne humeur. C’est bénéfique ! Je suis un bon vivant. J’aime rigoler, charrier, me faire charrier... »

La religion a aussi une grande place dans l’esprit et le cœur du Chrétien : « Quand je n’ai pas entraînement le dimanche matin, je vais à l’église. Je prie souvent et, avant les matchs, je demande au bon Dieu de m’aider. La religion m’a toujours apporté. »

Après le quartier, Kevin a connu le football en club. A l’âge de 17 ans, il a tout quitté pour rejoindre Dijon : « J’ai baigné dans le football. Du côté de mon père, ils étaient 5 garçons qui jouaient tous aux Antilles. Pas mal de mes cousins ont aussi joué au foot, notamment l’ancien lensois Olivier Thomert. »

Le joueur se souvient comme si c'était hier du premier contact avec Dijon : « C’était le 31 janvier 2007. Il était 17h. J'étais dans le RER pour rentrer chez moi lorsque le DFCO m’a appelé. Quand je suis arrivé, ma mère a cru à une blague. » Une nouvelle aventure s’offrait à lui avec de nouveaux repères à trouver : « J’ai dû laisser ma mère dont je suis très proche, ma famille, mon quartier… Le premier jour, je n’ai fait que pleurer. Je quittais mon chez moi pour une chambre de 9 m². Mais j’y étais ! Ce dont j’avais toujours voulu. Je me suis repris en main très vite et, après trois semaines d’intégration, tout allait bien. »

S’il y a bien trois hommes que Kevin n’oublie pas, ce sont Rachid Aloui, Moulay Azzeggouarh et Xavier Collin. Le premier est celui qui a fait signer Kevin à Dijon. Le monde est petit car, aujourd'hui, ils se retrouvent au Racing, puisque Rachid est depuis peu recruteur lensois pour la région parisienne.
Le deuxième était son coach formateur pendant deux ans à Dijon : « Il m’a pourri ma jeunesse ! [Ndlr, rires] Il était constamment sur mon dos mais c’était pour mon bien. Il était chauffeur de bus à mi-temps. Quand j’allais en ville et qu’il me voyait, il baissait la vitre et criait « Kevin ! Rentre chez toi ! Tu n’as rien à faire dehors ! ». Quand ton coach fait ça, devant tout le monde, bah… tu rentres. »
Quant au dernier, c’était son coach à Béziers : « Je lui serai reconnaissant à vie ! Il m’a fait confiance, il a toujours cru en moi. Il m’engueulait, beaucoup même. Il voulait tirer le meilleur de moi-même. »

On pourrait croire que beaucoup de choses ont changé pour Kevin depuis qu’il est professionnel à Lens. Mais, « Je reste toujours le Kevin que ma cité a connu. Je suis un être humain comme tout le monde. J’ai galéré comme les gars de la Zone 4. J’ai la chance de faire ce métier car je l’ai voulu. »
Le gars des quartiers a su rester simple.

Entre autres
Ton premier maillot

J’ai gardé celui que je portais à Tours où j’ai d’ailleurs marqué mon premier but en pro. Je ne l’ai pas lavé et il est encadré chez moi.

La musique

« J’écoute beaucoup de musiques : antillaise, zouk, dance hall, kompa. Ça me fait penser à mes racines. »

Jeux vidéo

« J’aime bien jouer à Football Manager pour me sentir comme un coach pendant quelques heures. Je joue souvent en réseau contre mon frère histoire qu’il n’oublie pas que, même à distance, c’est moi le boss. [Ndlr, rires] On joue à FIFA. Mais je ne prends pas souvent la même équipe. J’aime varier.
Mon jeu vidéo préféré est NBA2K, un jeu de basket. ».

Le basket

« J’adore le basket ! J’ai déjà assisté à des matchs de l’équipe de Pro A de Dijon. J’aimerais bien aller aux Etats-Unis pour voir un match de NBA. Il y a du spectacle avant et pendant le match, de l’ambiance, des célébrations, des checks. Il y a beaucoup de flow et d’intensité sur le terrain. Les joueurs ont des physiques hors normes. Ils enchaînent. Je me serais bien vu basketteur, j’ai le flow pour ! [Ndlr, rires] »

Tatouages

« J’ai fait mon premier tatouage à l’âge de 19 ans. C’était mon prénom. Le premier de 15 autres qui représentent ma famille. Mon préféré est celui que j’ai fait pour ma fille Giulia-Rose. »

Leïla Talbi - rclens.fr